Volume 5 Numéro 6 - 15 mai 2006

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SOMMAIRE

Enjeux-ÉNERGIE
>L’exploitation des sables bitumineux assèche le nord de l’Alberta
> Des villes européennes s’engagent à réduire leurs émissions de 50 % pour 2030
> Un réseau sous-marin pour relier les parcs éoliens d’Europe ?
> FOCUS : la stratégie énergétique du Québec 2006-2015 ; mi-figue, mi-raisin
> Chine : exploitation du méthane émis par l’air de ventilation des mines de charbon
> Une loi pour promouvoir l’efficacité énergétique en Europe


Enjeux-CLIMAT
> Le cours du carbone européen connaît une correction sévère
> Kyoto : Ottawa multiplie les coupures…tandis que parlementaires et écologistes organisent la riposte
> Le bilan des émissions de GES des réservoirs hydroélectriques s’alourdit


NOUVELLE du Centre

Le Centre Hélios finaliste pour les Phénix de l’environnement

Le Centre est très fier d’annoncer qu’Enjeux-ÉNERGIE a été retenu comme finaliste pour les Phénix 2006 dans la catégorie Éducation/ sensibilisation.

Chaque année, 14 Phénix sont remis à des artisans du développement durable pour célébrer leurs actions remarquables. Ils sont décernés par les partenaires suivants : le Ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs, le Ministère du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation, RECYC - Québec, Collecte sélective Québec, la Fondation québécoise en environnement et le Mouvement Desjardins.

Enjeux-ÉNERGIE entame maintenant sa cinquième année et cette sélection est déjà, pour nous, un grand signe de remerciement et d’encouragement de tous les lecteurs et acteurs de l’énergie et des changements climatiques.

Les prix seront remis dans le cadre d’un gala le 8 juin prochain à 17 h à la salle Albert-Rousseau de Québec.


À PROPOS du bulletin

Le bulletin Enjeux-ÉNERGIE est publié par le Centre Hélios, une société indépendante de recherches et d'expertise-conseil en énergie.

Les travaux du Centre sont axés sur l'analyse et la conception de stratégies, de politiques, d'approches réglementaires et de mesures économiques favorisant le développement durable et équilibré du secteur énergétique.

Les clients du Centre incluent les gouvernements, les organismes d'intérêt public et les producteurs et distributeurs d'énergie, parmi d'autres. Le Centre Hélios est un organisme à statut charitable reconnu par Revenu Canada et Revenu Québec. Tout don versé au Centre est déductible pour fins d'impôts.

- Parution toutes les trois semaines -

Rédaction :
Alexis BEAUCHAMP, Sophie GEFFROY, Philip RAPHALS, Maxime RIVET

Production :
Sophie GEFFROY, Maxime RIVET


REMERCIEMENTS

Nous tenons à remercier les partenaires suivants pour leur appui à cette publication :


 


 

Énergies fossiles
L’exploitation des sables bitumineux assèche le nord de l’Alberta

Une étude récente de l’Institut Pembina dévoile qu’en 2004 la consommation d’eau de l’industrie des sables bitumineux a dépassé de trois fois les estimations faites en 2001. Ce secteur a utilisé 27 millions m3, seuil qu’il devait atteindre seulement en 2015.

Mary Griffiths, auteure de l’étude, craint que le nord de l’Alberta ne connaisse une pénurie d’eau bien avant celle des sables bitumineux. Selon le rapport, 66 % des allocations d’usage de l’eau dans le bassin versant de la rivière Athabasca ont été attribués aux industries des sables bitumineux. Il souligne aussi que deux à plus de quatre barrils d’eau sont nécessaire pour produire un barril de pétrole. Or, une faible partie de cette eau retourne dans la nature, l’essentiel étant contaminé et par conséquent stocké dans des bassins de rétentions, qui couvrent aujourd’hui plus 50 km2 de terres anciennement occupées par la forêt boréale ou des marécages.

L’Institut appelle donc à nouveau à un moratoire sur tout nouveau projet d’exploitation des sables bitumineux. Il considère en effet que les impacts cumulatifs doivent être clairement compris et contrôlés, qu’une politique sur les milieux humides doit être implantée et qu’enfin des sanctions en cas de non-respect des conditions doivent être établies.

Le gouvernement albertain est conscient du problème et s’est fixé une cible de 30 % d’augmentation dans la productivité et l’efficacité dans l’utilisation d’eau à travers la province d’ici 2015. Il a annoncé en avril une politique intitulée Water Conservation and Allocation Policy for Oilfield Injection qui demande, entre autres, aux compagnies pétrolières de chercher des alternatives avant d’utiliser l’eau douce à cette fin.

L’Institut Pembina, de son côté, insiste pour que la politique du gouvernement s’accompagne de mesures strictes et obligatoires de réduction de la consommation ainsi que de taxes sur l’usage de l’eau douce, dont les recettes pourraient financer la recherche de solutions techniques alternatives.

L’industrie pétrolière se dit consciente des préoccupations grandissantes, mais elle refuse d’être traitée différemment des autres secteurs également grands consommateurs comme l’agriculture ou la croissance urbaine. Elle assure qu’elle investit dans l’étude de nouvelles technologies plus efficaces.

Par ailleurs l’Institut Parkland, rattaché à l’Université d’Alberta, en collaboration avec le Centre canadien des politiques alternatives et l’Institut Polaris réclament également un moratoire de cinq ans sur cette activité. Ils prétendent, dans un rapport intitulé Fuelling Fortress America, que l’exploitation des sables de l’Athabasca se fait au détriment de l’environnement et de la sécurité énergétique du Canada, pour satisfaire la consommation énergétique des États-Unis.

> Pour en savoir plus
[article, Globe and Mail]
[rapport Troubled Waters, Troubling Trends, Institut Pembina]
[Document de la politique albertaine, avril 2006]
[article, La Presse]
[rapport complet, Institut Parkland]

Politiques et plans
Des villes européennes s’engagent à réduire leurs émissions de 50 % pour 2030

Un regroupement de 1700 municipalités européennes où vivent 50 millions de personnes s’est engagé à réduire ses émissions de GES de 10 % tous les cinq ans jusqu’en 2030. L’objectif pour le moins ambitieux est d’atteindre un niveau d’émission per capita de 2,5 tonnes, l’équivalent de la Chine en 2002. En comparaison, les États-Unis émettent en moyenne 20 tonnes par habitant, le Japon plus de 9 et le Mexique presque 4.

La Climate Alliance of European Cities with Indigenous Peoples est le plus important réseau européen s’attaquant au problème des changements climatiques. Barcelone, Berlin, La Haye, Luxembourg, Munich, Venise, Vienne et Zurich sont membres de cette coalition, qui peut probablement se targuer d’avoir établi la cible la plus contraignante en Occident. Alors que certains pays ou États se sont dotés de cibles ambitieuses mais à long terme, cette organisation a mis en place des échéanciers à court terme pour mieux atteindre son objectif final. Elle mise sur la conservation de l’énergie, l’efficacité énergétique, l’utilisation des énergies renouvelables, particulièrement dans le transport et la production d’électricité. Ses porte-parole ont toutefois souligné que la réussite de leur pari sera impossible sans le soutien actif des autorités de l’Union européenne et les gouvernements nationaux, régionaux et locaux.

> Pour en savoir plus
[Site de l’Alliance]
[article]

Énergie Éolienne
Un réseau sous-marin pour relier les parcs éoliens d’Europe ?

Personne n'accusera Airtricity de rêver trop petit. Ce développeur éolien irlandais propose non seulement un parc éolien en mer du Nord de 10 000 MW - 20 fois plus grand que le parc de 500 MW qu'il veut construire dans l'estuaire de la Tamise - mais aussi la mise en place d’un immense réseau électrique sous-marin reliant les quatre coins de l'Europe et même le Maghreb et le Moyen Orient.

Conçu par ABB, la géante suisse d’ingénierie,ce projet intitulé Supergrid, améliorerait la sécurité énergétique des pays en permettant la redistribution des énergies renouvelables selon les périodes de pointe. L’obstacle posé par la variabilité inhérente à l’énergie éolienne pourrait être ainsi surpassé, le réseau bénéficiant à tout moment de vent dans un des parcs. De plus, en intégrant une nouvelle technologie de lignes à haute tension en courant continu, qui permet de renverser le courant électrique sans changer la polarité du voltage, il serait possible d’optimiser le réseau grâce, par exemple, à l’hydroélectricité norvégienne lorsque la puissance produite par les turbines éoliennes est faible.

Selon Gregor Czisch, expert en en conception de systèmes énergétiques et professeur à l’Université de Kessel (Allemagne), la Supergrid serait encore plus efficace si elle intégrait aussi des parcs qui exploiteraient le potentiel éolien majeur de l’Afrique du Nord et du Moyen Orient. Selon ce scénario, le prix du kilowattheure serait comparable au prix actuel de l’énergie, soit environ 4,6 ¢ d’euro.

Les investissements requis seraient bien sûr énormes, mais les obstacles institutionnels et règlementaires sont encore plus importants. Malgré les directives européennes favorisant la mise en place de marchés concurrentiels en Europe, les marchés en électricité y sont en grande partie nationaux. Un réseau comme la Supergrid faciliterait grandement l'échange d'électricité entre pays d'Europe. Toutefois, il peut difficilement voir le jour sans une volonté réelle des pays de voir naître un tel marché continental.

Pour Eddie O'Connor, pdg d'Airtricity, « la ressource éolienne est une ressource continentale et non nationale, la propriété commune de l'ensemble des pays membres ». Selon lui, si l'Europe n'a pas une politique énergétique d'ici 25 ans, son déclin sera inévitable et irreversible. Reste à voir si sa proposition saura séduire à la fois ceux qui détiennent les cordons de la bourse et ceux qui peuvent autoriser un tel projet.

> Pour en savoir plus
[article]
[article]
[article]

FOCUS
La stratégie énergétique du Québec 2006-2015 ; mi-figue, mi-raisin

Le gouvernement du Québec a récemment publié L’Énergie pour construire le Québec de demain, stratégie dont la ligne directrice est le développement de l’énergie, particulièrement l’hydroélectricité et l’éolienne mais aussi les ressources pétrolières et gazières du Saint-Laurent, comme levier économique. Québec veut ajouter 4500 MW de nouveaux projets hydroélectriques pour 2015, qui se traduiraient par des investissements de 25 G$ et 70 000 emplois sur dix ans, ces projets s’ajoutant à celui de la Eastmain 1-A/Rupert (888 MW, 4 G$) et aux autres déjà en construction (1054 MW, 4,4 G$). L’ambition du gouvernement Charest est limpide : assurer la sécurité énergétique du Québec, mais surtout utiliser l’énergie comme outil de développement économique, notamment par l’exportation massive d’électricité vers l’Ontario et les États du nord-est américain.

Le gouvernement cite le modèle albertain en expliquant qu’il est nécessaire d’avoir une vision continentale du marché de l’énergie, et donc de développer les ressources afin de non seulement répondre à la demande interne, mais également à celle du reste du Canada et des États-Unis. La stratégie énergétique du Québec pousse plus loin ce raisonnement en affirmant que « l’exportation d’une forme d’énergie renouvelable et propre contribue directement à la lutte contre les changements climatiques et à l’atteinte des objectifs du protocole de Kyoto dans le nord-est du continent ».

S’il est vrai que l’Ontario et le nord-est des États-Unis évaluent les besoins de nouvelles capacités à plus de 36 000 MW pour 2025, il est toutefois pertinent de se poser la question sur l’à propos de « nourrir la bête » nord-américaine en énergie. En effet, en fournissant à nos voisins une énergie à prix modique, le Québec, en plus de subir les dommages environnementaux bien réels liés au développement accéléré de la filière hydroélectrique, contribue à diminuer le prix de l’énergie en Ontario et aux États-Unis, les incitant ainsi à augmenter leur consommation davantage.

De manière plus fondamentale, la stratégie énergétique n’offre toutefois pas de prévisions ou de justifications quant à la rentabilité de ces investissements massifs dans l’hydroélectricité pour fins d’exportation. Rappelons que les coûts de revient des futurs projets hydroélectriques sont proches des prix actuels dans les marchés d’exportation. Ce contexte est donc fort différent de celui de l’Alberta, où le prix d’extraction d’un nouveau baril de pétrole est très en deçà du prix du marché, et ce, même pour les sables bitumineux. Néanmoins, la rentabilité de ses investissements est prise pour acquis, sans analyse à l’appui.

Cela dit, la stratégie gouvernementale innove en proposant de confier à la Régie de l’énergie le mandat d’évaluer la justification énergétique et économique des nouvelles activités et initiatives énergétiques majeures. Il s’agit de la première brêche dans la loi 116 votée en 2000, qui a complètement éliminé la compétence de la Régie en matière de production d’électricité. La stratégie précise que la Régie devra tenir compte non seulement de l’intérêt public mais aussi de l’intérêt privé, ainsi que d’autres critères qui seront établis par le gouvernement.

Le but apparent de cette proposition est, d’une part, de permettre un examen plus structuré des questions entourant la justification, mais aussi de soustraire ces questions épineuses du mandat du BAPE. Cette proposition a été vigoureusement dénoncée par la Fondation Rivières, qui y voit une tentative de réduire la participation du public à l’égard de la justification des projets. Dans tous les cas, les projets déjà en voie d’obtenir des autorisations seraient exemptés du nouveau processus, qui ne serait pas en vigueur avant 2008.

Reconnaissant par ailleurs le fait que les ajouts importants de charges augmentent les coûts pour l’ensemble des consommateurs, la stratégie annonce que dorénavant le droit pour une nouvelle charge d’être desservie au tarif L se limite à 50 MW. Au-delà de ce seuil, les conditions tarifaires refléteront les retombées économiques qui en résulteront, le tarif L étant un plancher et non pas un plafond.

Côté nucléaire, le gouvernement confirme que cette option est écartée pour l’instant, quoiqu’il réserve sa décision sur la réfection coûteuse de la centrale Gentilly-2 (675 MW), soulignant notamment que « la question de l’entreposage permanent des déchets radioactifs n’a toujours pas été réglée ».

La stratégie énergétique du Québec dévoile un objectif de 4000 MW d’électricité provenant de l’éolien pour 2015, dont la capacité existante (212 MW) et les appels d’offres de 2003 (1000 MW) et 2005 (2000 MW), qui comptent pour plus que 85 % de cette capacité totale. La stratégie annonce des appels d’offres additionnels de 500 MW, dont la moitié est réservée aux MRC et l’autre moitié aux nations autochtones, les projets éligibles ne pouvant dépasser 25 MW chacun afin de « favoriser l’implication directe des petites communautés ». Elle précise également qu’HQ Production ne peut participer à ces appels d’offres.

Suivant sa position à l’effet que la pénétration éolienne ne peut excéder 10 % de la puissance installée sans mettre en danger la fiabilité – position fortement contestée par l’industrie éolienne [voir EÉ vol. 5 no 2, p. 1] – elle propose également de permettre l’ajout de 100 MW en éoliennes pour chaque 1000 MW de nouvelle puissance hydraulique. De plus, le gouvernement indique sa volonté de modifier la Loi sur l’exportation d’électricité afin d’empêcher toute exportation d’énergie éolienne en l’absence d’un décret qui l’autorise spécifiquement. Cela est déjà le cas pour l’énergie hydraulique. Il s’agit d’une nouvelle qui décevra certainement les promoteurs qui songent déjà aux installations éoliennes sans contrat avec Hydro-Québec.

Hydro-Québec reçoit par ailleurs le mandat d’assurer une meilleure complémentarité hydroélectrique/énergie éolienne, mais aussi de développer le couplage éolien-diesel pour les réseaux autonomes. La stratégie vise un projet pilote dans le Nord du Québec pour 2008, ainsi qu’un plan pour l’implantation de systèmes de jumelage éolien-diesel dans l’ensemble des réseaux autonomes.

L’augmentation importante des économies d’énergie, sous toutes ses formes, représente l’une des mesures les plus notables de la stratégie énergétique du Québec 2006-2015. La cible assignée à Hydro-Québec passe de 4,1 (horizon 2010) à 8,0 TWh (horizon 2015). Gaz Métro et Gazifère doivent pour leur part économiser 350 millions de mètres cubes (Mmc) en 2015, plutôt que 97 Mmc en 2008.

Le secteur des produits pétroliers est quant à lui plus lourdement touché, alors qu’il doit viser un objectif de 2 millions de tonnes équivalent pétrole (tep) à l’horizon 2015. À titre de comparaison, l’objectif pour le gaz naturel équivaut à 310 000 tep en 2015. Même lorsque l’on tient compte de la part trois fois plus importante du pétrole dans le bilan énergétique du Québec, la contrainte imposée au secteur pétrolier est deux fois plus exigeante. Cet écart est surtout expliqué par le fait qu’il n’existait pas jusqu’à maintenant de programmes d’objectifs spécifiques à cette forme d’énergie, qui répond à la même proportion des besoins énergétiques des Québécois que l’électricité, soit 38,5 %.

Dans ce qui constitue l’une des surprises de la stratégie, Québec entend appliquer des normes pour les automobiles similaires à celles adoptées en Californie, qui devraient se traduire par une amélioration de l’économie d’essence d’environ 30 % à l’horizon 2016. Le Québec se rallierait ainsi à l’État pionnier en la matière, les mesures du gouverneur Schwarzenegger devant toutefois survivre à la poursuite intentée par l’industrie automobile aux États-Unis.

Par ailleurs, le gouvernement Charest devance une politique attendue d’Ottawa en annonçant un objectif de 5 % d’éthanol dans l’ensemble des ventes de carburants en 2012 (Ottawa songe plutôt à 2010 comme échéancier). Plutôt que de miser sur la filière maïs-grain comme le font les États du mid-ouest américain et l’ouest canadien, Québec veut développer l’éthanol dérivé de la biomasse forestière, mais également le biodiesel. Un programme d’inspection des véhicules légers brille par son absence, même s’il s’agit d’un programme qui a prouvé son efficacité ailleurs dans le monde, précise l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA).

Le gouvernement confie par ailleurs à l’Agence de l’efficacité énergétique (AEE) le mandat d’élaborer, au cours des prochains mois, un plan touchant l’ensemble des formes d’énergie, afin qu'il puisse être adopté au plus tard au début de 2007. Quoique les structures d’approbation puissent paraître lourdes – impliquant à la fois le gouvernement et la Régie, et chacun à plusieurs reprise, on peut interpréter cette annonce comme le désir de donner un peu de « mordant » à l’AEE. La stratégie énergétique 2006-2015 précise toutefois déjà des cibles pour les différents secteurs publics, devant être atteintes en 2010 par rapport à 2003, dont la moyenne est de 12 %. Le plan annonce également une nouvelle réglementation, probablement inspirée des normes Novoclimat, qui obligera les nouveaux bâtiments et habitations construits à partir de 2008 à améliorer de 20 à 25 % leur performance énergétique.

L’AEE voit aussi sa mission élargie aux nouvelles technologies énergétiques. Si le plan énergétique ne quantifie pas les objectifs du gouvernement quant à l’aspect de l’innovation, elle précise toutefois les principales filières appelées à être développées de manière prioritaires : géothermie, énergie solaire (passive et active), les carburants renouvelables précités et enfin, à plus long terme, l’hydrogène. Les mesures concrètes pour ces technologies restent donc à déterminer.

Tout cela représente un changement de mandat pour l’Agence. Reste à voir si elle aura les ressources et l’autonomie nécessaires afin de mener à bien ce défi majeur.

Québec veut également développer ses ressources pétrolières et gazières, dans ce qui donnera certainement lieu à une forte opposition des milieux écologistes. Ces deux énergies fossiles sont aujourd’hui entièrement importées de l’extérieur, avec une facture combinée s’élevant à 10 G$ de dollars en 2005, 30 % de plus qu’en 2003.

Trois projets de terminaux méthaniers sont déjà à l’étude au Québec (Rabaska, Énergie-Cacouna et Énergie Grande Anse). Le gouvernement québécois affirme vouloir diversifier la provenance de ses approvisionnements en gaz naturel, qui sont actuellement assurés à 100 % par l’ouest canadien. Concernant les recommandations du BAPE sur les impacts environnementaux des levés sismiques marins publiées en octobre 2004, le plan stratégique 2006-2015 annonce trois initiatives pour aller de l’avant « tout en assurant la protection de l’environnement » : élaboration, avec le gouvernement fédéral, Terre-Neuve, la Nouvelle-Écosse et la Colombie-Britannique, d’un guide des bonnes pratiques en matière de levés sismiques, conciliation des levés sismiques avec les activités de pêche commerciale et de tourisme d’observation, et harmonisation des procédures d’évaluation environnementale avec Ottawa. Le mouvement écologiste a déjà annoncé son scepticisme face à la suffisance de ces mesures.

Somme toute, cette nouvelle stratégie énergétique du gouvernement québécois contient quelques éléments intéressants et des mesures intrigantes. Toutefois, malgré sa rhétorique verte, le gouvernement Charest continue d’émettre des signaux contradictoires en matière d’énergie et d’environnement, misant plutôt sur un développement tous azimuts de l’énergie, propre et moins propre, dans le but d’en faire le moteur de la croissance économique de demain.

> Pour en savoir plus
[L’Énergie pour construire le Québec de demain : la stratégie énergétique du Québec 2006-2015]
Communiqué GREMM]
[Communiqué AQLPA]
[article]

Brève
Chine : exploitation du méthane émis par l’air de ventilation des mines de charbon

Une mine souterraine de charbon chinoise, du groupe minier Huainan Coal Mining, sera le lieu d’un projet pilote de récupération des émissions de méthane de l’air de ventilation des mines.

Le projet consiste à collecter le méthane et à le brûler à l’aide d’une turbine à gaz d’une puissance de 10 à 30 kW. Les résultats de cette expérience devraient permettre ensuite de concevoir une turbine plus puissante, soit d’environ 1 MW.

Cette nouvelle techonologie, appelée VAMCAT (Ventilation Air Methane Catalytic Turbine) a été mise au point par le Commonwealth Scientific and Industrial Research Organisation (CSIRO), en collaboration avec l’Australian Greenhouse Office et l’Université Jiaotong de Shanghai.

Les promoteurs du projet rappellent que 70 % des émissions de gaz à effet de serre produites par l’industrie houillère proviennent de l’air de ventilation des mines. La Chine, quant à elle, est responsable de 45 % des émissions mondiales de ce type.

> Pour en savoir plus
[communiqué]

Brève
Une loi pour promouvoir l’efficacité énergétique en Europe

L’Union européenne s’est dotée d’une nouvelle directive relative à l’efficacité énergétique dans les utilisations finales et aux services énergétiques. Effective le 17 mai prochain, elle fixe aux États membres un objectif indicatif national de 9 % de réduction de la consommation d’énergie entre 2008 et 2017.

Les services énergétiques, les programmes et autres mesures visant à améliorer l’efficacité énergétique qui seront mis en place pour atteindre cet objectif pourront être soutenus ou mis en oeuvre au moyen d’accords volontaires conclus entres les parties prenantes et des organismes du secteur public désignés par les États membres. Ces accords devront comporter des informations sur les objectifs quantifiés et échelonnés dans le temps, le contrôle et la présentation de rapports.

Les États membres devront se doter d’une série de plans d’actions avant les trois dates butoirs des 30 juin 2007, 2011 et 2014. Ils ont jusqu’au 17 mai 2008 pour transposer cette directive en loi nationale.

> Pour en savoir plus
[directive européenne 2006/32/EC]
[article]



Le cours du carbone européen connaît une correction sévère

La France et les Pays-Bas ont annoncé d’importants surplus de crédits d’émissions à la fin avril, ce qui a fait chuter le cours du carbone du système d’échange européen (ECX) de 30 € le 19 avril à 8,60 € le 12 mai.

Depuis l’été dernier, le marché européen du carbone avait été tiré vers le haut par les besoins de crédits des producteurs électriques, particulièrement élevés en raison des conditions météorologiques et des prix de l’énergie, souligne le bulletin Tendances Carbone, publié par la Caisse des dépôts (France). Le mois d’avril marquait l’échéancier où les installations incluses dans le système devaient rendre les quotas équivalents à leurs émissions réelles de 2005 afin de garantir leur conformité. Lorsqu’il a été annoncé que le marché était long, c’est-à-dire que l’offre était beaucoup plus importante que la demande, le cours du carbone a subi une correction en conséquence. Toutefois, il est pertinent de souligner que cette révision à la baisse a été accentuée par l’impossibilité pour les installations de « mettre en banque » les quotas de la première phase (2005-2007) pour la seconde (2008-2012), option qui encouragerait également des réductions hâtives et l’assimilation de leurs coûts sur le plus long terme.

Selon certains observateurs, cette baisse importante du cours du carbone est due à une surallocation initiale des autorités nationales aux industries émettrices. Selon le Réseau Action Climat – France, les émissions de GES des 1138 installations françaises visées par le système lors de la phase initiale (2005-2007) pourront augmenter de 15 % par rapport à leurs émissions de 2002 grâce à un plan national d’allocation trop généreux, et ce même si la tendance historique des émissions de ces secteurs est à la baisse. Ce passe-droit pour les industriels déplace le fardeau des réductions vers les secteurs des transports et des bâtiments.

Les deux prochains mois seront cruciaux pour l’efficacité environnementale et économique du système européen d’échange de quotas, qui en est encore à sa phase d’essai. Tout d’abord, si certains pays ont annoncé des surplus, ils ne représentent que le quart des émissions de GES couvertes par le système coordonné par Bruxelles. Les deux puissances industrielles européennes, l’Allemagne et la Grande-Bretagne, publieront le 15 mai le bilan carbone de leurs entreprises visées dans le cadre de cette phase initiale, c’est-à-dire les installations d’une puissance calorifique de plus de 20 MW ainsi que certains secteurs d’activité énergivores (raffineries de pétrole, métaux, ciment, chaux, verre, papier, etc.). Ce bilan, potentiellement moins reluisant, pourrait causer une nouvelle hausse du cours du carbone, puisqu’il signalerait que la demande pour des crédits est plus importante que ne le laissent présager les surplus français et hollandais.

Toutefois, même si des surplus notables de crédits sont annoncés par ces pays, le véritable test du système d’échange aura lieu lors de la seconde période de réduction des émissions, qui coïncide avec celle du protocole de Kyoto (2008-2012). Les 25 États membres ont d’ailleurs jusqu’au 30 juin prochain pour faire parvenir à Bruxelles leurs plans nationaux d’allocation des quotas. Chaque membre de l’Union Européenne (UE) a une cible nationale négociée au niveau continental, tout en respectant l’objectif de la « bulle européenne » sous le protocole de Kyoto, de 8 % sous le niveau de 1990. Si le marché a réagi vivement à ce premier pépin pour le système européen, il est prévu que la Commission européenne demande des efforts encore plus importants à ses États membres lors de la seconde phase de réductions. Les pénalités encourues en cas de non respect des dispositions seront aussi plus sévères, atteignant 100 € pour chaque tonne d’équivalent CO2 émise au-delà des crédits alloués ou achetés.

Les instances onusiennes du Mécanisme pour un développement propre (MDP) du protocole de Kyoto ont par ailleurs tenu à lancer un message rassurant, affirmant que les tumultes que connaît actuellement le marché européen ne devraient pas avoir d’impact profond sur les projets MDP. Ce mécanisme, principal moyen de participation des pays du Sud au marché du carbone, offre une alternative au système d’échange de l’UE en permettant aux gouvernements ou aux entreprises d’investir dans des projets à l’intérieur des pays en développement en échange de crédits de réductions d’émissions. Le problème est que ces crédits transigent actuellement autour de 20 €, beaucoup plus que les 12 € nécessaires pour obtenir un crédit équivalent sur le marché européen. Kai-Uwe Schmidt, responsable des projets MDP au secrétariat de la Convention cadre sur les changements climatiques, affirme que les délais nécessaires à l’élaboration et la mise en oeuvre des projets MDP font en sorte que les décisions les concernant sont soupesées face à des tendances à long terme.

> Pour en savoir plus
[dossier]
[article]
[article]

Kyoto : Ottawa multiplie les coupures…tandis que parlementaires et écologistes organisent la riposte

Depuis son élection, le gouvernement fédéral dévoile au compte-goutte sa politique dans le dossier des changements climatiques, qui pour l’instant se résume surtout à des suppressions budgétaires. Face à cette position, plusieurs groupes environnementaux et les partis d’opposition réclament la démission de la ministre de l’Environnement Rona Ambrose de son titre de présidente de la Conférence des Parties.

Tout d’abord, le ministre des Finances du gouvernement Harper, Jim Flaherty, a annulé le transfert de 538 M$ qui devait aider l’Ontario à fermer ses centrales au charbon. Le ministre fédéral soutient que le plan « Made in Canada » promis par la ministre Ambrose, doit être complété avant que des négociations ne soient entamées avec les provinces. Cette mesure unique aurait pourtant permis de réduire les émissions de GES canadiennes de 10 %. De plus, ce projet cadrait parfaitement avec les intentions de la ministre Ambrose de favoriser des initiatives locales ayant des impacts directs sur la pollution atmosphérique et le smog. Le gouvernement ontarien promet pour l’instant qu’il parviendra à tenir sa promesse de fermer ses quatre centrales au charbon pour 2009, avec ou sans l’aide d’Ottawa.

Le premier budget du gouvernement conservateur a aussi été dévoilé, dont une page et demie seulement est consacrée à l’environnement, dans un document qui en contient 250 avant annexes. Deux mesures y sont annoncées : les cartes mensuelles de transport en commun seront déductibles d’impôts à partir de juillet 2006 et la déduction pour amortissement applicable à la bioénergie dans le domaine forestier sera accélérée. Alors que le gouvernement précédent promettait 10 G$ sur sept ans pour combattre les changements climatiques, le budget 2006 alloue plutôt 2 G$ en cinq ans, soit 3,5 fois moins sur une base annuelle.

Par ailleurs, le gouvernement a annoncé l’abandon du programme ÉnerGuide, qui permet d’améliorer l’isolation des résidences. Selon le coordonnateur du programme en efficacité énergétique d’Équiterre, les propriétaires qui effectuent les travaux recommandés économisent en moyenne 750 $ par an, soit 30 % de leur facture énergétique.

Alors que les négociations sur l’après 2012 débutent officiellement le 15 mai à Bonn, le Canada a dévoilé sa position initiale concernant cette seconde phase d’engagements pour Kyoto. Dans un document de trois pages, il propose qu’une approche plus « flexible » soit favorisée, que celle-ci mette davantage l’accent sur la participation des pays en développement, sur la technologie et sur les initiatives au sein ainsi qu’hors du processus de la Conférence des Parties. Le document annonce que Rona Ambrose, qui assure la présidence de la Conférence des Parties jusqu’en novembre prochain, entreprendra des consultations internationales sur les « engagements volontaires ».

Avant même la publication de ce document, le Bloc québécois, le NPD et le parti libéral ont réclamé la démission de la ministre Ambrose de son poste de président de la CdP si elle n’entendait pas au moins tenter de respecter les engagements canadiens dans le PK. Le Bloc a déposé une motion d’opposition qui demande au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour respecter ses obligations de Kyoto, mais il réclame aussi qu’Ottawa présente un plan efficace et une entente avec les provinces avant le 15 octobre 2006. Les partis d’opposition devraient voter unanimement en faveur, selon les médias.

La ministre Ambrose a souligné dans le cadre de débats au Parlement que le Canada se trouvait dorénavant à 35 % de son objectif de Kyoto, soit 29 % au-delà du niveau de 1990 : « pour mettre ça en perspective, cela signifierait qu’il faudrait retirer de la circulation tous les trains, avions et automobiles au Canada. Ce n’est pas réaliste », a-t-elle ajouté.

Face au démantèlement du programme de lutte contre les changements climatiques du gouvernement fédéral, les représentants de plusieurs groupes écologistes influents se sont rencontrés la semaine dernière à Ottawa. Ils entendent faire pression sur le Canada afin que celui-ci respecte ses engagements de Kyoto. Ces organisations veulent mettre sur pied des campagnes ralliant militants, intellectuels, politiciens et représentants des milieux des affaires étrangers pour dénoncer la nouvelle politique canadienne sur les changements climatiques. Les médias seront également sollicités afin de mieux attirer l’attention sur le revirement du gouvernement fédéral dans le dossier.

> Pour en savoir plus
[Budget fédéral 2006]
[article]
[article]
[éditorial]

Le bilan des émissions de GES des réservoirs hydroélectriques s’alourdit

Une récente étude questionne, une fois de plus, l’impact sur le climat de l’hydroélectricité. Les résultats de l’équipe de chercheurs de l’Institut des sciences de l’environnement et du Centre de recherche en géochimie et géodynamique (GEOTOP) de l’UQAM suggèrent que les réservoirs hydroélectriques situés en région boréale constitueraient des sources de GES plus importantes que prévu et augmenteraient de 16 % le bilan annuel d’émissions.

Publiée dans la revue scientifique Lakes & Reservoirs: Research and Management, l’étude démontre que le méthane et le CO2 emprisonnés sous la surface glacée des réservoirs hydroélectriques en hiver et relâchés au printemps pourraient représenter une part non négligeable du bilan de GES attribué à l’hydroélectricité.

Les environnements ennoyés artificiellement, caractérisés par des eaux peu profondes et des marécages inondés, sont propices à la formation de zones anoxiques, où la décomposition de la matière organique engendre la production de méthane. En mode anaérobie, le taux normal de décomposition du méthane est réduit et le taux de formation du même gaz est accru.

Bien que les conditions hivernales se prêtent difficilement à la prise de données dans les réservoirs, expliquant pourquoi la quasi-totalité des recherches ne comptabilisent pas cette portion de GES, il faudra inévitablement, selon les chercheurs, ajouter ce facteur pour obtenir une estimation plus réaliste des émissions de GES des bassins hydroélectriques.

Plus de 70 % des réservoirs hydroélectriques mondiaux sont en région boréale et sont couverts de glace 60 % de l’année. La neutralité de l’hydroélectricité sur le climat pourrait donc être remise en question étant donné les volumes de GES impliqués. Jusqu’ici les inventaires nationaux des GES ne tiennent pas compte des émisisons des réservoirs et certains pays producteurs d’hydroélectricité résistent fortement à l’idée que cela change.

> Pour en savoir plus
[étude, 2006 11 : 9-11]
[article]